#Octobrèves2022 #Octobrèves 29
Il y avait dans la cave un interrupteur antique recouvert de poussière. Tim s'était toujours demandé à quoi il servait. Il avait un jour posé la question à son grand-père, mais celui-ci s'était contenté de cadenasser la porte de la cave, en maugréant. Il lui avait interdit d’en reparler, lui conseillant d’oublier cela. Ce fut le contraire qui se passa. Auréolé du mystère que possède les tabous, cet interrupteur à l'air antique obséda dès lors secrètement le jeune Tim. Celui-ci avait bien compris qu'il était inutile d'en parler. Il garda pour lui sa fascination, essayant de se faufiler discrètement dans la cave à la moindre occasion. Ces occasions étaient d'autant plus rares que son grand-père faisait preuve d'une vigilance à toute épreuve.
Il n’avait jamais réussi à percer ce mystère. Mais maintenant que le vieil homme était décédé, il pouvait profiter du déménagement pour mener l’enquête. Ses parents s’occupaient de la chambre et ne faisaient pas attention à l’adolescent qu’il était, déjà bien contents que Tim ne traine pas dans leurs pieds. Il avait fouillé tout le garage et avait finalement trouvé la clé du cadenas. Il ouvrit la porte et vit tout de suite l’interrupteur qui était identique à son souvenir, magnifique d’insignifiance.
Il n’hésita pas longtemps avant de céder à la curiosité qui le brûlait depuis tant d’années. Son doigt agit presque de lui même et abaissa le levier. Rien ne se passa. Tim joua encore avec le levier quelques fois, poussa un soupir déçu et quitta la pièce pour rejoindre ses parents qui l’appelaient, laissant le levier baissé.
À plusieurs milliers de kilomètres de là, un ingénieur en panique discutait avec son collègue.
– Je comprends pas ce qui se passe ! Tout était normal, puis y a eu quelques interruptions rapides et là, tout le réseau national est à l’arrêt !!!
#Octobrèves2022 #Octobrèves 28, hommage à #Descola et #Pignocchi
À un colloque d’anthropologie :
– En conclusion, nous pouvons résumer la pratique du camping dans la société capitaliste post-industrielle comme une construction romantique bourgeoise, qui en fait comme la synthèse. Au début du XXe siècle, il s’agissait essentiellement d’un loisir de riches fuyant la pollution des villes. Par la suite, cela s’est popularisé et démocratisé, avec ce que cela a impliqué de conséquences. Dans tous les cas, le contrôle sur l’environnement est toujours resté total : les campeurs croyaient retourner à la nature (nous avons déjà expliqué en détail le paradoxe nature/humain dans d’autres conférences) mais en maitrisant chaque élément et en créant un espace où tout restait sous contrôle. En cela, le camping est symbolique de toute la culture dans laquelle il baigne.
Nous avons vu par exemple comment les structures d’habitations ne pouvaient exister que dans un monde dans lequel les prédateurs ont pour la plupart été éliminés, à part les plus tenaces qui ne représentaient pas une menace, tout au plus une gêne faisant partie de l’expérience vécue. Nous avons également montré comment la dépense d’énergie et de ressources était phénoménale, juste pour garantir que les campeurs bénéficiaient de tout le confort qu’ils pouvaient trouver en ville. Et je rappelle que les infrastructures ne servaient que durant ce qu’ils appelaient la « belle saison ». Il n’est dès lors pas surprenant que cette pratique n’ait pas survécu aux bouleversements qui ont marqué la fin du capitalocène.
Pour conclure, je dirais que le camping était une réponse à la vie sédentaire, imitant le nomadisme sans le comprendre, en l’idéalisant, permettant d’une certaine façon de maintenir un modèle qu’il rejette sans pouvoir s’en détacher.
Je vous remercie pour votre attention.
#Octobrèves2022 #Octobrèves #descola #Pignocchi
#Octobrèves2022 #Octobrèves 27
D'aussi loin que je me souvienne, Gaston avait toujours de quoi grignoter sur lui. En soirée, il ramenait systématiquement quelques paquets de cahuètes, de chips, du fromage, du saucisson, tout ce qu'il fallait pour réussir un apéro. Quand on partait se balader, il avait toujours des sandwiches pour tout le monde. Il faisait profiter ses amis de sa générosité, sans jamais hésiter.
Étrangement, il ne nous invitait jamais chez lui, mais nous passions tous cette excentricité, compensée par sa prodigalité. Il travaillait avec une association visant à distribuer les invendus, une des rares qui n'en tirait pas de bénéfices, de nombreuses start-ups ayant rentabilisé cette activité. Avec la crise, les pauvres étaient devenus un business lucratif pour les vautours socio-libéraux. Qui plus est, grâce aux politiques mises en place, le public cible grossissait d'années en années, tout comme le pactole qu'il rapportait.
Mais Gaston était loin de ces calculs cyniques. Il distribuait gratuitement chaque soir la nourriture contenue dans son sac à dos, le même qu'il ramenait aux soirées. Malgré tout, on sentait bien qu'il s'épuisait, à se battre ainsi contre la machine à broyer les humains. Lors d'une de ses soirées dont je parlais, après une discussion houleuse et étrange, nous avons pourtant réussi à le convaincre de partager son secret et sa charge.
Il nous emmena tous - notre petit groupe comptait une demi-douzaine d'amis - chez lui. Son appartement était un entrepôt rempli de nourriture. Au fond, un tas de victuailles trainait au sol, débordant du sac de Gaston. Nous avons tous eu le même sursaut lorsqu'une brassée de haricots surgit du sac spontanément.
#Octobrèves2022 #Octobrèves 26
Dans la savane, tous les animaux sont égaux. Cela ne veut pas dire que certains ne bouffent pas les autres, mais jamais le lion ne se prétenderait supérieur à la gazelle. On a jamais vu un de ces félins se prendre pour le roi. Depuis quelques temps, pourtant, un animal fait des siennes. Il court cul nu, passant des arbres aux rivages et des rivages aux steppes, sans vraiment se décider. Et surtout, il croit que, parce qu'il marche sur deux pattes, il est différent des autres. Pour la première fois dans le règne animal, il parle en « je ». Et pour parler, il parle !
Fatigués, les animaux se réunissent et discutent de la situation. Finalement, ils décident que ce drôle de singe qui la joue perso n'a pas sa place parmi eux. Très simplement, ils le bannissent, considérant qu'avec sa mentalité de merde, il ne tiendra pas très longtemps hors de la nature.
Ils auraient mieux fait de le bouffer, pensent-ils aujourd'hui.
#Octobrèves2022 #Octobrèves d'il y a quatre jours (ouais, je me tape un beau retard, mais je lâche rien !)
J'étais en voiture dans les rues de Bruxelles, sans doute une des villes les plus embouteillées d'Europe. Je devais me farcir une série de rendez-vous tous plus importants les uns que les autres dans les environs, même si cette évidence ne me sautait pas aux yeux, je dois l'avouer. Pour la première rencontre, je devais me rendre à la tour Reyers, qui n'étaient plus très loin, n'eut été l'existence du carrefour Meiser, véritable aberration urbaine sans doute pensée par un groupe de cravateux costumés très contents d'eux. Cela faisait dix minutes que je ruminais en faisant du sur place, méditant sur les nombreuses vertus du vélo, lorsqu'on frappa à ma vitre.
- Je suis désolé, j'ai pas de monnaie, marmonnai-je sans établir de contact visuel avec mon interlocuteur.
Remarquant que le mendiant ne partait pas, je m'apprêtai à libérer toute la colère contenue en moi sur le pauvre hère quand mon regard croisa le sien. Il s'agissait d'un grand gaillard aux yeux bleu électrique. Il avait du fard à paupière multicolore, comme des ailes de papillon. Il portait des vêtements à la mode et souriait doucement. Son parfum me perturbait hautement. Il était familier, comme ses odeurs gravées dans la mémoire, entêtantes et pourtant fugaces.
- Veuillez m'excuser, l'ami, mais je pense que je pourrais vous offrir ce dont vous rêvez : gloire, fortune, amour. Cela pour un prix dérisoire…
Je restai hypnotisé pendant un instant, jusqu'à ce qu'on klaxonne derrière moi, le feu étant passé au vert. Je redémarrai en vitesse et, dans le rétro, je crus distinguer le gars disparaitre dans une gerbe de flamme. Mais je n'avais pas le temps pour ces bizarreries, mon rendez-vous m'attendait.
#Octobrèves2022 #Octobrèves de la veille
Les Conventions pour le Climat se suivaient et se ressemblaient. Il était pourtant clair que le Capitalisme était incapable de produire le début d'une solution aux nombreux problèmes qu'il posait. Malgré tout, les dirigeants continuaient de faire comme s'ils étaient en contrôle. Il devenait chaque jour plus clair qu'il n'y avait pas de freins à la machine dans laquelle l'humanité était embarquée, juste un accélérateur.
Le petit peuple, lui, se taisait depuis bien longtemps, ayant juré de ne plus se mêler des histoires humaines. De l'avis général, ça n'était jamais rien d'autre qu'un sac d'emmerdes. Et comme il était clair qu'ils cherchaient surtout à se faire remarquer, il avait été décidé de les ignorer. Seulement, voilà : ces derniers siècles, les humains avaient multiplié leur pouvoir de nuisance par mille. Il était temps d'intervenir.
Le jour de l'inauguration de la Convention correspondait, par un heureux hasard, à un solstice, temps propice aux rencontres de différents plans d'existence. Ainsi, le petit peuple interrompit la réunion des grands de ce monde. D'un air composé, un lutin prit la parole à la tribune.
- Messieurs, bonjour. En ce moment-même, les léprechauns ont réduit à néant les réserves d'or de tous les pays, les nains et gobelins ont condamné l'ensemble des mines mondiales, les ents ont mis fin à l'exploitation des forêts, les nymphes se sont occupées des océans, des mers et des rivières, les dragons ont détruit les plateformes pétrolières, les trolls ont pris contrôle des axes routiers.
La liste est encore longue, mais pour résumer, comprenez que nous n'avons eu d'autres choix que d'en venir à la force brute pour vous arrêter dans votre quête mortifère de puissance. Non contents de commettre un suicide à grande échelle, votre folie risquait de mettre en péril le petit peuple. Vous voilà forcés d'arrêter.
Maintenant, les mages vont rendre votre électricité inopérante, merci de votre attention.
#Octobrèves2022 #Octobrèves de l'avant-veille
- Bien, je vous rappelle une dernière fois l'importance de cette entrevue pour le Consortium : cette espèce est particulièrement atypique. C'est la première fois que nous rencontrons des êtres sentients et intelligents qui vivent de façon symbiotique. Je compte sur vous pour ne pas commettre d'impair, agent Vendame.
- J'en ai vu d'autres, ne vous inquiétez pas !
Le sas s'ouvrit sur une pièce qui reproduisait à la perfection les conditions de vie des Vermots. Il n'y avait pas de meubles, juste une prairie d'herbes rougeâtres. Au milieu, la délégation attendait, représentée par trois individus. Ils ressemblaient à des bovidés terrestres dans leur allure générale : trapus, portés par des pattes robustes, une tête légèrement disproportionnée par rapport au reste du corps. Entre les yeux, un globe quelque peu cristallin dans lequel on devinait un liquide. C'étaient les Vermots. Les ruminants étaient leurs hôtes.
Vendame était perplexe. Ces entités qu'il rencontrait n'étaient, quand on y réfléchissait, rien d'autre que du mucus ayant des capacités de réflexion. Protégé des agressions extérieures, il avait pu évoluer jusqu'à la conscience. Mais l'agent intergalactique avait tout de même l'impression de parler à des vaches morveuses.
La discussion avançait bien. Ils étaient sur le point de conclure un accord, quand tout dérapa malencontreusement. Le pollen des graminées avait réveillé l'allergie de Vendame. Il n'avait pas pu se retenir d'éternuer, maculant sa manche de morve. Mortifiés, les Vermots avaient rompu définitivement les négociations et étaient repartis sur leur planète, outrés.
#Octobrèves2022 #Octobrèves de l'avant-veille
Ç'avait été un coup planifié de longue date. Il avait d'ailleurs lieu de façon simultanée dans d'autres pays. D'une certaine manière, c'était étrange. Personne n'était le cerveau de cette opération, à proprement parler. Il y avait simplement une sorte de magie qui opérait et qui leur dictait quoi faire. Il y avait quelque chose d'anarchiste dans ce mouvement, dans un certain sens.
Ici, l'affaire était familiale. Chaque chef de clan était le fils d'un baron qui avait déjà fait ses preuves. Lui, il avait dû se battre pour se hisser hors du panier de crabe. Son père n'avait jamais volé très haut, au contraire du précédent type qui avait été élu et placé aux commandes. Mais maintenant qu'il était là, le jackpot était assuré. Le plus drôle, dans cette histoire, c'était que l'arnaque était presque légale. Tout était parfaitement huilé, il n'y avait qu'à imprimer un petit mouvement pour que le pognon pleuve sur lui et ses comparses.
Pour l'instant, il se focalisait surtout sur le système des retraites. Une casse précautionneuse, pour ne toucher que les plus pauvres, ceux qui ne protestent pas trop, ou en tout cas pas trop fort. En parallèle, il continuait le travail acharné de ses prédécesseurs sur la santé et l'éducation, mais ça ne rapportait pas grand chose pour le moment. C'était un investissement pour les dix prochaines années. Il savait qu'il serait grassement rémunéré pour son travail attentif.
Peut-être qu'avant la fin de la mandature, il réussirait à liquider le réseau de chemin de fer, la poste ou d'autres bagatelles. Qu'importe, l'important était de tout casser afin d'en récupérer quelque pépites.
Il fallut quelques décennies pour qu'on vint le chercher. Le procès ne fut pas si long. Contrairement au dicton, la corde qui servit à la pendre avait été fabriquée dans un petit atelier autogéré. Elle résista plus longtemps que sa trachée.
Alcide était au bout du chemin, littéralement. Il ne se souvenait plus exactement à quel moment il avait quitté le monde des vivants. Il se souvenait de la chaleur humide des tufières, de cette cascade d'eau figée dans le calcaire, des fumerolles. Avait-il ingéré d'autres substances ? Il n'avait pas l'impression de rêver, en tout cas. Pourtant, le paysage qu'il arpentait ne ressemblait plus à rien de ce qu'il connaissait. Il faisait nuit, mais le ciel ne portait aucune étoile. Malgré tout, on y voyait comme en plein jour. Étrangement, les couleurs étaient effacées, tout était gris.
Venir ici était le dernier des travaux de celui qu'on appelait « La Gloire d'Héra ». Alcide avait entendu toutes sortes d'histoires sur le chien qui gardait les Enfers. C'était une bête monstrueuse, énorme, avec deux têtes, trois têtes, cinquante, cent. Il avait une crinière faite de serpents. Sa bave était corrosive et il soufflait du souffre par les naseaux. Il raffolait, disait-on, de la chair des mortels qu'il avait trop rarement l'occasion de goûter.
Le héros aux multiples exploits n'était pas rassuré. Il n'avait rien pu emporter avec lui dans le monde des morts, pas une seule arme. Si la Bête était encore plus terrible que le Lion de Némée, il allait avoir du mal à la terrasser et la ramener avec lui.
Un bruit le tira de ses réflexions. Un cliquetis de chaines et un bruit de pattes. Héraclès se tint prêt à bondir et combattre. Une forme blanche se jeta sur lui : un chien de berger comme il en avait vu des dizaines dans ses voyages. Aboyant joyeusement, il faisait la fête au nouveau venu, remuant fièrement la queue et se dressant sur ses pattes arrières. Il avait le pelage dru, les oreilles pendantes et bavait un peu, d'excitation. En le voyant, le héros ne put s'empêcher de lui gratouiller l'oreille et lui lancer un « Oh, mais c'est un bon gros pépère, ça, hein ! »
Cette dernière épreuve s'avéra plus facile que prévu.
#Octobrèves2022 #Octobrèves de la veille
- Pendant longtemps, votre espèce a été tenue à l'écart de ce que vous appelez le « Consortium ». Nos scientifiques vous observent depuis quelques-uns de vos siècles, déjà. Heureusement, votre obsession pour les histoires nous a facilité la tâche. Il semblerait que la majorité du monde du vivant terrien ait eu recours au concept de tromperie pour maximiser ces chances de survie. Nous n'avons pas encore déterminé exactement si cela a un rapport avec cette capacité unique dans l'univers et que nous avons encore du mal à appréhender : le mensonge.
Il est tout à fait anormal de décrire la réalité telle qu'elle n'est pas, en toute conscience. Cela a sans aucun doute été une stratégie évolutive payante, dès le moment où la communication est devenue centrale dans vos sociétés de plus en plus complexes. Mais par la force des choses, cela nous pose un bon nombre de soucis concernant une quelconque prise de contact avec vous.
Bien. Après ce petit préambule, je suis prêt à répondre à toutes vos questions, mesêtres représentants de l'espèce humaine.
- Mais qu'est-ce qui nous prouve que ce que vous racontez soit vrai ? Qu'est-ce nous dit que c'est pas du bluff pour mieux nous exterminer ?!
- Pfffff… Vous voyez, c'est exactement ça, le nœud du problème humain… Votre espèce est complètement paranoïaque. Enfin, on prendra le temps qu'il faudra… Je recommence…
#Octobrèves2022 #Octobrèves de la veille
Le monde avait changé. La magie, autrefois présente sous une multitude de formes, s'appauvrissait. Les responsables étaient les technomages, dont les besoins allaient chaque jour grandissant. Leur avidité les poussaient à extraire systématiquement les ressources magiques anciennes, rasant les forêts, détournant les fleuves, creusant les montagnes. Ils allaient toujours plus loin dans leur toxicomanie, jusqu'à épuiser les dernières réserves existantes.
Se considérant comme les égaux de dieux, ils transformèrent des espèces entières. Leur plus grande réussite, selon eux, avait été de "moderniser" les Centaures pour les rendre plus adaptés aux milieux urbains. Ainsi, les rues se peuplèrent de Cyclopèdes, animaux humanoïdes dont les pattes avaient été remplacées par des roues. Les technomages exploitaient cette espèce créée artificiellement pour toute sorte de travaux de livraisons dans les rues étroites de leurs mégapoles coupées du reste du monde.
Un jour pourtant, la société technomagique finit par s'autodétruire, et avec elle une grande partie du monde. Ce fut une extinction rapide et massive. Heureusement, même dans leur potentiel de nuisance, les technomages avaient des lacunes. Les Cyclopèdes survécurent, libérés de leurs maitres. Aujourd'hui, ils roulent entre les ruines des cités d'autrefois, ou dans les steppes arides, contaminées durablement par des produits toxiques, essayant encore et toujours de réparer les erreurs de leurs créateurs.
L'atmosphère est moite de la chaleur de deux corps qui se rencontrent.
- Allez, j'y vais. Tu me dis si c'est trop fort.
Une main s'approche de son crâne, lui saisit les cheveux et amène sa bouche au contact de celle d'en face. Le baiser dure juste un peu moins qu'une éternité et se termine lorsque tout son corps bascule sur le lit. Alors la main reprend les choses. Son pouce se love contre son lobe d'oreille. Son ongle s'enfonce dans la partie sensible. La douleur est presqu'immédiatement remplacée par la chaleur.
- Hhhfff…
C'est un soupir qui veut devenir un cri. Ou l'inverse. La réaction normale de la souffrance et du plaisir qui se confondent. L'ongle continue son labour jusqu'à la nuque et s'enfonce profondément dans les chairs tendres. Le souffle de tantôt se munit de voyelles - surtout des A, comme pour demander un peu de répit, mais sans réussir à articuler la supplique.
Sur l'omoplate, le pouce est rejoint par les autres doigts pour exercer une pression brusque. Puis, il reprend sa route solitaire et part titiller un téton. Aidé par un index délicat puis par une langue langoureuse, il l'érige en monument frémissant. Ensuite, il volte vers le dos, zigzaguant dans les plaines dorsales, croisant parfois l'épine, mais toujours descendant. Les gémissements ont laissé place à un silence éloquent.
Enfin, les fesses que le pouce griffe affectueusement. L'index le rejoint à nouveau, puis l'accord se fait majeur quand tous les doigts pianotent le postérieur. La main s'en saisit et sonne l'hallali.
- On arrête un peu ?
Un halètement lui répond. Sur le corps secoué de spasmes, les éraflures dessinent une carte du plaisir éphémère mais tellement satisfaisante.
Dans la chaleur étouffante du mois d'octobre, Jouane contemplait l'étendue qui s'offrait à elle. Les steppes méditerranéennes courraient jusqu'à perte de vue. Dire qu'autrefois, la mer recouvrait tout, d'ici à l'océan ! La voyageuse venait de quitter les ruines de Jérusalem et faisait route vers l'Occident, en espérant y trouver un refuge. Elle ne croyait pas aux légendes, mais il n'y avait plus rien pour elle là d'où elle venait. Il fallait désormais aller de l'avant, quitte à poursuivre les chimères de cette Atlantide lointaine.
Le chef de la caravane, Tarik, y croyait. Il racontait à tous les réfugiés que ce pays de Cocagne existait bel et bien. Il avait même eu l'occasion par trois fois de discuter avec ces Atlantes dont la technologie était restée égale à celle des peuples oubliés. Quoi qu'il en fût, la route était encore longue pour en atteindre les portes. Et comme les pirates écumaient les rives septentrionales de la mer levantine, il fallait passer par le Sud, en longeant les bords du Sahara.
Le trajet dura plusieurs mois et fut extrêmement difficile. Arrivés sur les berges de la mer ionienne, ils n'étaient plus que la moitié de ceux qui étaient partis. Jouane avait maigri, dans cet environnement hostile. Elle était fatiguée, mais il était trop tard pour revenir en arrière. Ce serait la délivrance ou la mort. Il leur restait à traverser la mer Baléare, ce qu'ils firent dans un seul grand bateau à voiles.
Un beau matin, ils furent enfin en vue des côtes ibériques. En les voyant, Jouane ne put réprimer une étincelle d'espoir. Celle-ci ne dura pas : au soir, on entendit un grand tumulte provenant des terres atlantes. Un deuxième soleil, brillant comme dix zénith, éclaira les ténèbres vespérales. Quand il s'éteignit, des nuages inquiétant s'élevait au loin. C'était la fin, Jouane le savait…
#Octobrèves2022 #Octobrèves de l'avant-veille
Thierry sentait un grand vide en lui. Pourtant, il avait tout pour être heureux. Il avait brillamment réussi ses études de marketing et était community manager pour une boite qui vendait des trucs dont personne n'avait besoin. Mais il gagnait pas mal de pognon, dans l'opération. Il avait récemment acheté un appart pour une bouchée de pain. Il fréquentait Stacy depuis quelques mois - ou était-ce déjà des années ? Il n'était pas sûr, mais il l'aimait : elle était encore belle malgré ses vingt-sept ans, elle gagnait moins que lui et elle cumulait une demi-douzaine des complexes habituels chez les femmes.
Bref, Thierry avait tout pour être heureux et pourtant, il ne l'était pas. Il avait été voir une psy, un coach, un médium et même un type qui tenait un bar dans le quartier hipster et qui, à ce qu'il paraissait, avait un certain don pour résoudre les problèmes des gens. Rien n'y avait fait. Les meilleures solutions avaient encore été celles de son dealer qui avait toujours un choix de substances peu légales mais très récréatives à disposition. Mais ça ne réglait pas le fond du problème.
Thierry décida de faire un tour du monde, histoire de voir un peu si la misère au soleil redonnait du sens à sa vie. L'expérience fut exceptionnelle et changea son regard sur le monde. Mais quand il revint chez lui, le vide l'attendait, tapi dans l'ombre. Alors, il fit ce que tout homme de son âge fait : une crise durant laquelle il envoya tout en l'air. Il changea de boulot (dans le management), changea de gonzesse (pour une plus jeune), changea de bagnole (pour une plus luxueuse). Et il expliqua à tous ceux qui ne lui avaient d'ailleurs rien demandé qu'il avait enfin trouvé la paix intérieure.
Ce n'était pas vrai. Mais il avait comblé le vide en lui avec tellement de faux-semblants et de paraitre qu'il n'avait plus d'autre choix que d'y croire lui-même. Il aurait pu en faire un moteur, il avait préféré l'étouffer, pour ne rien changer.
Avec les zoonoses qui fleurissaient constamment, les élevages industriels faisaient l'objet d'une attention toute particulière. Dès lors, on remarqua très rapidement les comportements étranges dans certains poulaillers industriels. Tout commença dans l'Ohio, suite à un incident dont les circonstances restent encore aujourd'hui mystérieuses. Du jour au lendemain, aucun employé ne ressortit jamais, ni aucun policier envoyé sur place. L'armée intervint rapidement, mais sans plus de résultats. La zone resta en état de siège pendant plusieurs mois, jusqu'au jour où un employé ressurgit, indemne quoi que fort amaigri.
Aux journalistes, il expliqua la situation :
- Lee poulets ont… évolué ? Un peu comme des fourmis. Y a quelques reines qui dirigent la… colonie ? Et elles sont devenue… eusociales ? Et sentientes ? Elles ont une liste de revendications, dont la première est : la fin de toute forme d'élevage. Sans quoi, aucune cohabitation ne saurait être pacifique.
Le gouvernement refusa catégoriquement de négocier ces termes. Il regretta amèrement lorsque le Kentucky fut rayé de lu carte. Par la suite, les cinquante milliards de poulet prirent le contrôle de la planète, après s'être alliés aux fourmis et aux rats.
Toute résistance est vaine, il nous faut simplement accepter que nous avons perdu la suprématie sur cette Terre… si nous l'avons jamais eue.
Cela faisait maintenant quelques décennies que la planète entière était parcourue de séismes de plus en plus forts. Dans l'océan Pacifique, c'était courant, bien entendu. Mais étrangement l'Atlantique était également touché. New-York et Londres en particulier étaient la proie de spasmes puissants. Les scientifiques s'échinaient à comprendre ce qui pouvait perturber à ce point l'activité sismique de la Terre. Nous n'étions pas au bout de nos surprises, comme la suite de l'Histoire l'a montré.
En février, les frissons de terre reprirent de plus belle. En mars, les secousses étaient tellement fortes que toute l'Angleterre fut évacuée. La côte Est des États-Unis d'Amérique fut également sécurisée. À la fin du mois (c'était un jeudi), un séisme d'une magnitude inégalée secoua le monde.
Dans l'ISS, Thomas put observer le phénomène. L'océan Pacifique rétressissait à vue d'œil, tandis qu'une crevasse immense fendait l'Atlantique. Au bout de quelques jours, une forme émergea des abysses : un museau. La Terre n'était plus une sphère. La station spatiale passa sous le ventre de ce qu'était apparemment un tatou titanesque. Son corps était fait d'un magma qui refroidissait doucement. Il se dégourdissait les pattes dans le vide infini, sortant de sa torpeur.
Mais de tout ceci, les humains n'avait cure. La géopolitique avait radicalement changé. La Chine, l'Australie et les Amériques étaient désormais fort rapprochées, à cause du glissement des plaques de l'animal. Et bientôt, les Américains, isolés sur la scène intertatouine, firent remarquer qu'ils étaient les plus proches de la tête (les Anglais prirent la mouche quand on leur fit remarquer qu'ils étaient proches de la queue). La bizarrerie de se retrouver sur le dos d'un animal spatial fut oubliée et très vite, les disputes politiques reprirent de plus belle, ne retardant en rien la fin prévue de l'Humanité.
#Octobrèves2022 #Octobrèves du jour, youhou !
Iris était la dernière personne gentille du pays. La pression de sélection avait été trop rude pour ce trait de caractère désuet. Le Capitalisme triomphant avait fini par gagner. Autour de la quinquagénaire, tous les actes étaient intéressés. On n'aidait plus les vieillards à traverser sans la garantie d'un pourboire. Le cat-sitting se monnayait à prix d'or. Tout était devenu commercial.
Forcément, dans l'entourage d'Iris, on ne comprenait pas son excentricité fort dommageable. À son âge, elle n'avait ni bien immobilier, ni actions dans une entreprise bien cotée, quelle que soit la morale derrière ses bénéfices. Pire : il lui arrivait d'aider les enfants de ses voisins à faire leurs devoirs gratuitement ! On lui avait parfois dit que ce bénévolat était dangereux car il ne produisait aucune valeur ajoutée. Elle répondait qu'elle n'en avait rien à foutre.
Quand on lui faisait remarquer que certaines personnes profitaient de sa générosité, elle répondait : « Pour une personne qui profite, combien ont réellement besoin de mon aide ? » ce qui défiait toute logique économique et rationnelle. Alors, les gens avaient fini par la considérer comme une originale, quelque peu loufoque.
Cependant, à force de se faire presser comme un citron, il arriva qu'Iris se retrouve à bout de souffle. Son médecin lui prescrivit des congés. Elle décida de s'éloigner de son entourage toxique et de la ville anxiogène. À force de pérégrinations, elle découvrit un petit village reclus, où on la reçut avec circonspection. Après quelques jours durant lesquels elle fut observée avec prudence, les villageois conclure que, bien que provenant de la capitale, Iris ne présentait aucun danger pour la communauté. On l'accueillit avec plaisir et elle rejoignit ce petit Paradis avec d'autant plus de joie que le Capitalisme moribond n'en finissait pas de crever dans des soubresauts scabreux.
#Octobrèves2022 #Octobrèves de la veille, encore et toujours
En sortant de l'appartement, Hubert eut la nette impression d'oublier quelque chose. Mais quoi ? Il avait ses clés en mains, son smartphone dans une poche, son portefeuille dans l'autre. Son sac à dos était prêt depuis des jours et il n'y manquait rien.
Mais alors, quoi ? Il était déjà en retard, il décida que ce ne devait pas être important. Il avait éteint toutes les lumières, pour éviter de devoir encore vendre un bout de son foie lors du prochain décompte trimestriel. Les valves du gaz étaient également fermées, pour le cas peu probable où son quartier serait sélectionné pour la journée (la loterie faisait gagner les communes riches neuf fois sur dix). Décidément, ça ne pouvait pas être ça. Mais alors quoi ?
Il était déjà dans le train lorsque l'onde prit de l'ampleur, à une vitesse supersonique. Sa machine synaptique était une merveille : toute personne dans la zone d'action oubliait tout ce qui s'était passé depuis le lancement de l'appareil. Et la vague d'oubli s'étendait encore et encore, sans jamais s'arrêter.
#Octobrèves2022 #Octobrèves de la veille (toujours)
L'empereur Vespasien avait mis des années à remettre de l'ordre dans l'empire romain. Avant lui, il y avait eu l'année de quatre empereurs, cette période ridicule de balbutiements politiques. Il était bien parti pour fonder une nouvelle dynastie, s'il n'avait pas eu l'idée stupide de lever un impôt sur l'urine, prétextant que l'argent n'avait pas d'odeur. Cela mit fin à son règne.
Le peuple romain en avait eu finalement assez de voir défiler tous les quatre jeudis des hommes tous plus loufoques les uns que les autres. Et comme il tenait le Sénat pour responsable de cette mascarade, ils en profitèrent pour dissoudre l'assemblée.
D'une décision commune, ils abandonnèrent l'idée fastidieuse de dominer l'ensemble du monde connu. Après délibération, ils optèrent pour une vie plus tranquille, commerçant avec les voisins et recadrant parfois ceux qui prenaient un peu trop leurs aises. Surtout, ils décidèrent de se plonger tout entiers dans l'otium le plus décomplexé.
Lorsque vers l'an MD Ab Urbe Condita, Attila frappe aux portes de la République des États Romains Autogérés, les peuples unis le renvoient dans ses steppes fissa. En l'an MM, l'imprimerie apparait et quelques décennies plus tard, un explorateur découvre inopinément un continent au Ponant. Les relations avec les populations sont cordiales. Tout le monde s'accorde à dire qu'il y a bien assez de place sur la planète pour qu'on ait pas besoin de se taper sur la gueule.
Lorsque les Nations Unies mettent en place leur premier programme de fusion nucléaire, quelques siècles ont passé. C'est un mercredi, fin de semaine (ça fait longtemps qu'ils sont passés à la semaine de huit heures, eux). Dans notre manche du pantalon du temps, on sort à peine de ce qu'on appelle le Moyen âge. Et on n'a pas vécu la moitié du pire.
Ça s'est joué à pas grand chose : une histoire de pisse qui passe mal et le monde en aurait été changé.
#Octobrèves2022 #Octobrèves de la veille
Ce matin-là, Armelle ne voulait pas se lever. Pendant la nuit, elle avait trouvé la position parfaite, elle avait atteint la température idéale, l’équilibre absolu. Ce n’était plus un lit dans lequel elle se trouvait, mais un nid, un cocon. La dernière chose dont elle avait envie, c’était d’en sortir pour aller affronter le monde extérieur. Elle se retourna et décida de replonger dans sa torpeur. Elle referma les paupières et décida de tout envoyer valser.
Par un étrange hasard, le fin écheveau de la réalité ne tenait qu’au fil de la pensée d’Armelle. En le coupant, elle défit tout l’ouvrage. L’univers disparut dans un « grompf » sonore suivi d’un ronflement.