je vous envoie
la délicieuse agressivité
des bulles d’eau gazeuse
qui explosent dans la bouche
dans la gorge et jusque dans le nez
l'audace du bambou
qui en moins de deux
dresse sa lance où il veut
pour monter vite à l'assaut du ciel bleu
derrière les piles du pont
l'incessant mouvement des remous
qui envoûtent nos regards
et remuent tant de pensées
qu'on laissera filer
je vous envoie
un adagio pour ruisseaux doux et pins sylvestres
avec à la baguette une pie au grand bec
de la pluie fine et continue toute la nuit
puis des arbres au matin qui sous le vent s'ébrouent
des pas qu'on fait ensemble vers autre chose
les mots qu'on ose et ceux qu’on ne dit pas
je vous envoie
un chien tout gris qui passe
d'un côté à l'autre de la rue
trottant en biais museau pointé
déterminé sur une piste
qu'il a dû inventer
des pissenlits sans prétention
qui se reproduisent dans l'herbe haute
et des pâquerettes qui pétillent
dizaines de petits soleils jaunes
aux rayons blancs et roses
un joyeux concert populaire
huées, slogans, sifflets, casseroles
dans la rue et en plein air
dansons la carmagnole
je ous envoie
la rivière aux bords changeants
au courant pas bien violent
mais dont le moindre frisson
invite aussitôt nos pensées
à d'autres navigations
les ingrédients d'un #ventredi réussi
3 beaux fugaces du Poitou
25 centilitres de concentré d'oubli
250 grammes de temps perdu sans gluten
stupre de canne 1 cuiller à soupe
la force du vent en rafales
qui chasse vers de hauts plateaux
parmi de rares et paisibles rochers
les vastes regrets
et les chagrins perdus
je vous envoie
un énorme rocher couché
sous les ajoncs comme endormi
qui aura toujours raison
contre la rage du vent
et l'averse martelante
le sommeil soulagé
du poste de travail
quand on a décidé
de saboter le projet
d'éteindre les écrans
et tout laisser en plan
les trilles aiguës du rouge-gorge
jamais deux fois les mêmes
qui lance ses braises dans le soir
pour que la nuit s'embrase
je vous envoie
dans les trous des nuages
les caprices de la lumière
qui ternit ou incendie
les camélias rouges
dans un livre sans importance
des pages mal collées
qui se détachent
libérant des lambeaux
tout à coup passionnants
dans la journée un peu trop lente
le rythme irrésistible au piano
d'une mélodie latino
sur le transistor des ouvriers
de l'immeuble en chantier
je vous envoie
deux mésanges impatientes
qui de leur branche surveillent
le petit peuple du jardin
nouvelles fleurs en couleurs
feuilles du matin encore en sommeil
et peut-être un ver de terre
un instant pas calculé
mais jamais oublié
la complicité imprévue
de deux mains rencontrées
dans la foule des visages
farouches et fraternels
qui vous disent en souriant
qu'aujourd'hui la rage est sage
je vous envoie
toutes les notes bleues
fredonnées dans la nuit
pour l'enfant que la fièvre
tient encore éveillé
une page blanche
où les portées restent à tracer
pour y déposer vite
triples croches
fugues et départs en canon
la chanson rouge
qui embrase le ciel
et nous fait aller
main dans la main
vers un soir immense
Je vous envoie
Toutes les couleurs de cet arc en ciel naissant
Chargées de tendresse dans toutes ses nuances
Chacune avec forces et faiblesses
Pour s’adapter à toutes les émotions
Accompagnées des franges passantes de nuages
S’étiolant au gré des rafales
Alternant rayons chodouyets
Et brises frissonnantes
Faisant la vie si complète
Ne doutez pas des coins de ressourcement
Stables et toujours présents
Même si parfois différents
je vous envoie
le projet comme-on-a-dit
dans le dossier tûtafé-cédakor
l'informe ULR tout-bien-rempli
avec signature et case-à-cacher
une tasse de thétendez-vous
avec une dosette de prenez-le-temps
et une cuiller d'on-verra-demain
pour déguster un rien-ne-presse
un sourire aux lèvres
et un clin d'œil au voisin
pour ensemble regarder grandir
les tiges d'herbe du printemps
je vous envoie
les longues lignes molles
de la plaine vue des collines
avec des forêts là-bas
qui floutent l'horizon
la ligne d'un sourcil
tout juste relevée
par un œil surpris
du désir déclenché
la ligne d'écriture
hésitante et penchée
d'un enfant au tableau blanc
qui trace au marqueur
le tout premier vers
de son poème
je vous envoie
sur l'arbre un peu tordu
un rameau en sommeil
que ses bourgeons réveillent
sous un soleil bougon
un plein bol de pelures de pommes
qui se tortillent vaguement
rouges orange tigrées
et blanches d'un reste de chair
au verso de la spirale
dans le tiroir de la semaine
le détail qui range tout
bouger deux mots dans le mémo
pour saboter le point hebdo
je vous envoie
un rayon clair qui perce
plus haut que le brouillard
pour allumer un ciel
qu'on croyait noyé
l'équilibre mystérieux
entre l'avenue vide à l'aurore
et le thème de jazz à la radio
comme dans un film déjà vu
une photo grise dans le journal
le fait-divers sans importance
qui finalement fait sourire
un ânon furieux saccage la mairie
je vous envoie
trois couleurs pour une seule fleur
jaune safran, mauve et blanc
des crocus ouverts avant l'heure
dans l'herbe au bord du ciment
deux mesures de poudre noire
traversés d'eau brûlante
pour verser un peu de nuit
dans la tasse fumante
un ciel décidément très clair
où des oiseaux rôdent en bande
pour marcher dans un froid sec
qu'une clameur commune
réchauffera demain
je vous envoie
la lumière
qui doucement
revient du lointain
à travers les buissons
les chemins les maisons
jusqu'au bord de la fenêtre
la rue sans mystère
qui va juste d'ici à là
mais qui s'ouvre peut-être
sur un autre hasard
en tournant pour une fois
les yeux vers le toit
un schéma pas trop droit
pour une heure pas trop pleine
mais enfin ça ira
avec en signature
l'écureuil du pin bleu
dessiné au marqueur
je vous envoie
la volute de vapeur légère
qui s'élève du bol
où l'on se chauffe les mains
en attendant que ce soit
moins brûlant
cinq crayons de couleur
choisis au hasard
dont la simplicité magique
invente d'inédits arcs-en-ciel
et dans le crépuscule laiteux
du petit matin
l'herbe du chemin
croustillante de gelée blanche
sous nos pas décidés
je vous envoie
à la surface de la tasse
le café sans reflet
troublé d'un tremblement léger
par la radio posée tout près
la rue toujours à l'ombre
qui a gardé la trace glacée
de la blancheur tombée du ciel
malgré le soleil clair
tous les visages familiers
ou inconnus qu'importe
avec lesquels on partage
dans un fraternel cortège
les rages et les sourires
je vous envoie
le vent bienvenu qui entraîne
la lente danse tourbillonnante
des feuilles grises
de l'année finie
l'ancien chemin qui monte
entre la maison du voisin
et le mur du château
en écartant un peu les ronces
on peut encore passer
rejoindre les bois
disparaître pour la matinée
vous devriez essayer
trois pas d'élan bien suffisants
pour aller à la fin de journée
ouvrir d'un sourire
la porte de son cœur
je vous envoie
un chemin caillouteux
qui monte dans les vignes
sous un vent impétueux
qui emmène les nuages
et la pluie plus loin
l'erreur au téléphone
dont on pourrait s'amuser
clin d'œil du hasard
pour imaginer quelqu'un
prévu nulle part
le premier regard de retrouvailles
dans le hall de la gare
avec l'ébauche des sourires
qui vont bien vite s'agrandir